La fin du mois de mars est compliquée à vivre pour les amateurs de football, et particulièrement ceux de l’Olympique de Marseille. Quelques jours après Michel Hidalgo, la cité phocéenne a perdu un nouvel homme fort de son passé. Âgé de 69 ans, Pape Diouf n’a pas résisté au virus qui l’a frappé ces derniers jours. Alors qu’il devait être rapatrié en France depuis le Sénégal, son état s’est dégradé rapidement mardi soir. Il n’a donc pu prendre ce vol et s’est éteint à Dakar, la ville de son enfance.
Pape le journaliste, puis agent
Le monde du football est donc sous le choc puisqu’il perd là une figue qui lui est familière et sympathique. Un homme qui tout au long de sa vie et de sa carrière a su se faire respecter grâce à ses qualités d’orateurs et sa prestance naturelle, le tout combiné à une gentillesse suffisamment rare dans le milieu pour être précisée. Un homme qui s’est également bâti tout seul. Envoyé à Marseille à 18 ans par son père pour devenir militaire, Pape Diouf avait déjà d’autres ambitions et ne se lancera jamais dans cette voie. Il poursuit ses études mais les laissent tomber pour travailler à la Poste, avant de finalement trouver un emploi de pigiste au sein de la rédaction de La Marseillaise.
Embauché ensuite pour couvrir l’actualité du club de l’OM, il quitte le journal phocéen pour s’engager avec l’éphémère quotidien Le Sport, l’aventure durant moins d’un an. Suite à cette courte expérience, il met de côté le journalisme pour organiser des jubilés de joueurs africains, puis pour entamer une grande carrière d’agent. A partir des années 1990, il va ainsi se charger des intérêts de nombreux joueurs forts tels que Basile Boli, Joseph-Antoine Bell, Marcel Desailly, Bernard Lama, William Gallas ou encore Didier Drogba et Samir Nasri.
Dans ce milieu des agents sans foi ni loi, le natif d’Abéché au Tchad s’est démarqué par son sérieux et sa parole. C’est grâce à cette dernière qu’il a conquis de nombreux joueurs en plus de son professionnalisme. En mars 2002, il déclarait ainsi au journal Libération : « En France, le métier est vu sous l'angle fric, fric, fric. Des affaires éclatent, on met en cause les agents. C'est plus facile de bastonner contre eux que contre les dirigeants, les entraîneurs ou les joueurs. Mais il y a la même proportion de gens indélicats dans ce métier que dans d'autres ».
Imposé de force à la présidence de l’OM
Son carnet de joueurs, son réseau et son influence ne cessent de grandir au fil des années. Toujours viscéralement attaché à l’Olympique de Marseille, il s’engage auprès du club en 2004 en qualité de Manager Général. Une expérience courte puisque dès l’année suivante, le propriétaire du club, Robert Luis-Dreyfus l’intronise à la présidence. Proche de RLD à l’époque, Louis Acariès était à l’époque impliqué dans le processus ayant poussé le Franco-Sénégalais à la tête du club :
« Je pense que le conseil de surveillance et Robert Louis-Dreyfus avaient tourné la page. Je l’ai imposé. J’avais le mandat de choisir le président. Je suis arrivé officiellement en novembre 2004. Officieusement, ça faisait longtemps que j’étais arrivé. Il fallait mettre un président à la place de Christophe Bouchet. J’ai attendu quelques mois pour concrétiser mes pensées et le faire admettre à tout le monde. Bouchet l’avait fait venir en tant que directeur sportif. J’avais trouvé que cet homme-là était le président idoine pour l’OM. Donc je l’ai imposé. Et je ne l’ai jamais dit, mais de force. »
Effectivement, sur la Canebière, ce choix n’a jamais été regretté.
Les minots qu’il envoie au Parc humilient le PSG
Si sa présidence n’a pas été synonyme de titre, son bilan reste malgré tout positif avec notamment des qualifications européennes toutes les années, une finale de Coupe de France en 2006, et deux places de vice-champion de France en 2007 et 2009. Le bilan sportif est donc très honorable pour celui qui est également devenu alors le premier (et toujours seul) président noir dans l’histoire du championnat de France. Surtout, son habileté à manier le verbe et sa prestance naturelle en ont fait un acteur incontournable du football français durant son mandat.
Ses prises de positions ont parfois fait grincer des dents, mais il est toujours allé au bout de ses idées. On se souvient par exemple de ce Clasico mythique de 2006 au Parc des Princes. Pour protester contre le nombre de places réduits attribués par la ligue aux supporters de l’OM pour cette rencontre, il décide d’envoyer l’équipe réserve menée alors à l’époque par Alain Cantareil ou Gary Bocaly et renforcée par quelques remplaçants (Renato Civelli, Andre Luis, Cédric Carrasso). Alors qu’on leur prédit un bouillon, ils parviennent à décrocher le match nul 0-0, humiliant un PSG médiocre.
Eric Gerets et Didier Deschamps amenés sur la Canebière
En dehors de ça, il s’est également entouré des bonnes personnes pour permettre à l’OM de faire venir des noms qui ont marqué son histoire. On pense notamment à Franck Ribéry, débauché à Galatasaray alors qu’il trainait encore une réputation de vilain petit canard malgré un talent indéniable, mais aussi et surtout à Eric Gerets. Recruté en 2007 pour prendre place sur le banc, le coach belge va devenir une icône du public phocéen grâce à un jeu de qualité et des résultats positifs. Ce dernier partira en 2009 après avoir offert deux magnifiques années. Son président en fera de même peu de temps après.
Mais avant de quitter l’OM, Pape Diouf s’était activé en coulisses pour faire signer Didier Deschamps sur le banc de son club de cœur. L’actuel sélectionneur emmène dès la saison suivante le club marseillais au titre de champion de France, 17 ans après le dernier sacre. S’il n’était pas là, impossible de ne pas lier Diouf à ce sacre tant il aura contribué à remettre l’OM au sommet durant la deuxième partie de la décennie 2000.
Il prendra ensuite ses distances avec le milieu même si sa passion ne s’amenuise pas. On le voit ainsi participer à une émission de paris sportifs aux côtés de Bernard Laporte notamment pour l’Officiel des Paris Sportifs. En 2014, il s’engage au sein de la ville de Marseille dans la campagne des Municipales au sein de la liste « Changer la donne » qui termine 5e. On retrouve alors un Pape Diouf incisif et orateur pour exprimer ses idées et ses réserves vis-à-vis de la situation de la ville. En 2013, il est même décoré à l’Elysée, par le président François Hollande, de la légion d’honneur. Si parfois cette décoration peut être un peu donnée à la volée, dans le cas de Pape Diouf, elle est justifiée. Alors qu’il vient de nous quitter, et plus de dix ans après son éviction de la présidence de l’OM, il reste à ce jour le seul président d’un club français de l’élite issu de la communauté africaine. Communauté dont il aura été un fervent défendeur et étendard tout au long de sa carrière et vie.