Le petit Larousse est pourtant très clair. La charnière est « le point de jonction de deux domaines ». Le « Point où deux éléments d'un système stratégique, d'origine ou de nature différente, opèrent leur jonction » disent même les manuels militaires. Les manuels de bricolage décrivent eux un « assemblage composé de deux pièces, enclavées l'une dans l'autre et jointes sur un axe commun, autour duquel l'une au moins peut décrire un mouvement de rotation… » . Bref. Assemblage, axe commun, mouvement, jonction.
C’est encore plus simple de décrire une charnière en rugby : un demi de mêlée et un demi d’ouverture capables de faire le lien entre les avants et les trois-quarts, d’animer le jeu, créer le mouvement, orienter la défense, gérer le temps et l’espace.
Dans les faits, constituer cette paire serait pourtant plus complexe. Surtout lorsqu’il s’agît du XV de France. Le problème serait culturel ? Depuis la prise de pouvoir de Philippe Saint-André, fin 2011, il est surtout récurrent. En 29 matchs, PSA a nommé 12 charnières. Avec la réussite que l’on connait : 16 défaites, 2 nuls, et seulement… 37% de victoires. A sa décharge, le sélectionneur a souvent dû faire face aux blessures (Michalak, Talès, Plisson, Machenaud, Parra) et à la méforme de certains de ses cadres au moment de faire ses choix.
Analyse. Samedi, le montferrandais Camille Lopez reviendra aux affaires au poste d’ouvreur, accompagné du toulonnais Sébastien Tillous Borde à la mêlée. Les deux joueurs n’ont pas démérité depuis plusieurs mois. Las, ils composeront… la 13ème charnière d’un groupe appelé à se projeter vers la Coupe du Monde 2015 en Angleterre (18 septembre – 31 octobre). Au moment où stabilité et réglages devraient être la règle, apparaît encore ce sentiment indécrottable que le staff bleu fait toujours des essais. Fin 2012, interrogé sur le rôle de la charnière, Saint-André déclarait qu’il connaissait « l'importance de la communication pour une charnière quand il s'agit de se trouver offensivement, mais aussi de gérer les temps forts et les temps faibles. ». Nul doute qu’il y a pensé en cochant les noms de ces deux nouveaux demis. Alors comment expliquer ces énièmes changements ?
Reçu 10/10 ? Après les blessures de Michalak et Trinh Duc, Camille Lopez faisait face à la concurrence du Bordelais Pierre Bernard (25 ans – 0 sélection – 96, 55 % de réussite au pied en Top 14 sur 29 tentatives depuis le début de saison) et du Castrais Rémi Talès (30 ans – 10 sélections). Le premier brille avec l’UBB en ce début de saison mais son inexpérience à l’échelon international aura sans doute été un frein au moment de composer un groupe en quête de victoires. Renvoyé dans son club, il pourrait faire son retour dans les semaines à venir. Le second, -présenté comme titulaire par le staff depuis de nombreux mois-, paie sans aucun doute des dernières semaines compliquées (annonce de son départ de Castres en fin de saison, mauvais résultats du CO en Top 14, prestations en demi-teinte) et a le désavantage de ne pas buter. Rémi Talès conserve pour autant un niveau et un profil rassurant. Il ne pouvait donc pas quitter une équipe rajeunie et se retrouve logiquement sur le banc.
De son côté, l’ex perpignanais Camille Lopez s’est montré convaincant depuis son retour de blessure (rupture des ligaments croisés). Il a démontré à de nombreuses reprises avec l’ASM qu’il savait animer une attaque, défendre et gérer au mieux le tempo d’un match. Il possède en outre un atout rare pour un français : un jeu au pied d'occupation efficace et un niveau de performance élevé dans l’exercice des tirs au but (100% de réussite en Top 14 depuis le début de saison sur 22 tentatives). Avec ses deux sélections, il n’est pas totalement néophyte et fait partie des six ouvreurs déjà testés par PSA.
Du sang neuf. “Demi-de-mêlée .....? Un poste de synthèse. Ici, vous ne disposez pas des autres, vous êtes à la disposition des autres.” L’assertion de Pierre Berbizier (ancien sélectionneur, international à 56 reprises au poste de demi de mêlée) résume assez bien le profil de Sébastien Tillous Borde lui aussi nouveau titulaire. Jamais sélectionné sous PSA, le demi de mêlée revient de loin (la dernière de ses 8 capes remonte au 15 mars 2009 face à l’Angleterre). Double Champion de France et Champion d’Europe au sein d’une équipe de galactique, le Toulonnais fait figure d’anti star. Il n’en est pas moins indispensable aux varois depuis la blessure de Frédéric Michalak. Sous l’égide de son entrapineur Pierre Mignoni, il a su transformer son jeu et sa technique. Celui que l’on connaissait pour son engagement physique immodéré, sa propension à chercher le contact, a appris à canaliser son énergie. Faïsal Arrami, ami et ancien champion de France et d'Afrique de boxe, n’y est pas étranger. Désormais, « STB » sait varier ses actions et passer du rôle de neuvième avant à celui de passeur lucide. Seul bémol à sa panoplie, le joueur ne bute pas.
Parra, Machenaud, Doussain, tour à tour blessés ou écartés, la menace Rory Kockott se faisait jour. Le Sud-Africain possède des qualités d’explosivités remarquable, maîtrise le rôle de buteur (90% de réussite sur 30 tentatives en Top 14 cette saison, 100 % l’an passé sur 74 tentatives) et peut gagner un match à lui tout seul. Mais lui aussi, pâtit d’une mauvaise conjoncture : la dernière place de Castres en Top 14 n’améliore pas l’aura de ses joueurs cadres ; son tempérament impulsif amène son lot de craintes au moment de constituer une équipe en panne de sérénité ; la récente polémique sur la sélection des étrangers au sein du XV de France a certainement relégué le natif d’East London sur le banc, au moment où 2 autres de ses compatriotes prendront place dans l’effectif de départ (Le Roux en 3ème ligne et Spedding à l’arrière). Les bleus se présenteront donc sur le terrain avec un seul buteur. Les bleus se présenteront donc sur le terrain avec un seul buteur. Un choix risqué et souvent regretté par le passé. Le staff ne pourra plus se cacher en cas de défaillance dans l’exercice des tentatives.
Un nouveau record ? En 8 matchs face aux Fidji, la France n’a jamais perdu. Mais Saint-André nous a tant habitués à relire nos statistiques depuis sa prise de pouvoir que l’on s’attend à tout. La dernière confrontation en hexagone avait vu les bleus s’imposer nettement (34-12 / 13 novembre 2010). Mais c’était il y a 4 ans. Aujourd’hui la sélection ilienne bénéficie d’une génération dorée bien implantée en Top 14. Pour la tournée de novembre, neuf « français » ont été retenus dont Alipate Ratini (Grenoble), Timoci Nagusa et Akapusi Qera (Montpellier), Metuisela Talebula (Bordeaux-Bègles), Dominiko Waqaniburotu (CA Brive), ou encore Masi Matadigo (Lyon OU).
La cuvée 2014 possèderait « un grand potentiel de progression » selon son coach John McKEE. Et l’australien connaît bien les subtilités du jeu pour avoir été partie prenante de l’un des plus beaux traquenards de l’histoire ovale. Il officiait comme conseiller technique des Tonga lors de la victoire surprise face aux coqs de Lièvremont (19-14) au Mondial 2011. C’est dire qu’il faudra se méfier. Avec des qualités de vélocité et de puissance rares, les Iles Fidji ne pointent qu’au 12ème rang mondial. Mais la France (7ème) semble tellement prenable depuis quelques mois que ce test revêt tous les apparats du match piège.
Sables mouvants. D’autant que l'inexpérience du groupe de 25 joueurs réunis pour ce premier match du mois de novembre (15/11/2014 : France – Australie 21h à Saint Denis ; 22/11/2014 : France – Argentine 21h à Saint Denis) fait froid dans le dos. Sept joueurs (Chiocci, Atonio, Ollivon, Kockott, Dumoulin, Thomas, Spedding) ne comptent aucune sélection et cinq autres (Menini, Le Roux, Flanquart, Lopez, Tillous-Borde) moins de dix capes. A noter qu’en l’absence de Brice Dulin, Hugo Bonneval (blessés) et Maxime Médard au repos (à peine remis de blessure), le bayonnais et néo-français Scott Spedding pourra faire parler ses jambes de feu en numéro 15.
Les centre et ailier du Racing-Métro Alexandre Dumoulin et Teddy Thomas feront aussi leurs grands débuts. De quoi démentir Pierre Villepreux, esthète et spécialiste, qui confessait un jour : "Dans une équipe de rugby, il n'y a pas de passagers, il n'y a qu'un équipage." On le sait désormais à 316 jours de la prochaine Coupe du Monde. Sous PSA, les passagers sont nombreux. Et parfois, on cherche l’équipage. – S.L
Le XV de France face aux Fidji (samedi à Marseille – 18h) :
Spedding (Bayonne) - Huget (Toulouse), Dumoulin (Racing-Métro), Fofana (Clermont), Thomas (Racing-Métro) - (o) Lopez (Clermont), (m) Tillous-Borde (Toulon) - Le Roux (Racing-Métro), Chouly (Clermont), Dusautoir (Toulouse, cap.) - Maestri (Toulouse), Papé (Stade Français) - Mas (Montpellier), Guirado (Toulon), Menini (Toulon).
Seul huit des 10 joueurs suivant seront retenus samedi
Remplaçants : Kayser (Clermont), Atonio (La Rochelle), Chiocci (Toulon), Flanquart (Stade Français), Vahaamahina (Clermont), Ollivon (Bayonne), Kockott (Castres), Talès (Castres), Bastareaud (Toulon) et Mermoz (Toulon).