Il planait comme un parfum lourd sur le court central en ce 4 Juin 2013. Peut-être comme une odeur de passation de pouvoir, ou du moins un petit séisme dans le gratin du tennis mondial. Certes, Federer n’est pas un spécialiste de la terre ocre, contrairement aux espagnols ou argentins. Mais du moins mis à part le quasi intouchable Nadal, le natif de Bâle a très rarement encaissé de défaite aussi sèche, en trois sets et en 1h51. Les français ont pourtant bien réussi au suisse, après la victoire au 3e tour face à Julien Benneteau et en 1/8 de finale face à Gilles Simon. L’énergie employée dans ces deux matchs aura été totalement différente. A une victoire expéditive en 3 sets face au bressan aura succédé un match en 5 sets dans lequel Federer a joué avec la défaite dans un coin de la tête. A l’expérience et au talent il aura réussi à arracher un succès face au n°18 mondial. Mais face au n°1 français, plus solide que jamais cette année sur sa 1ere semaine porte d’Auteuil, l’approximation n’a pas pardonné et le score s’en est fait ressentir : 7-5 / 6-3 /6-3. Et paradoxalement, malgré l’un des premiers coups d’éclat d’un français à Roland face à un cador de l’ATP depuis un bon bout de temps, l’assistance avait des applaudissements nourris, comme un ressentiment entremêlant joie, surprise et peine pour l’ex n°1 mondial de le voir se faire balader de la sorte.
Nous le savons déjà mais l’helvète est considéré comme l’un si ce n’est « le » meilleur joueur de tous les temps. Plus de 70 titres ATP, 17 grands chelems (recordman depuis qu’il a dépassé les 15 majeurs de Pete Sampras), 900 victoires (la 900e obtenue face à Simon) sur approximativement 1000 matchs, ce qui constitue un taux de réussite d’environ 90 % et un 36e quart de finale consécutif en grand chelem (perdu ce mardi face à Tsonga). Chiffres colossaux pour un joueur colossal me direz-vous. Car le Suisse n’a pas révolutionné uniquement le service statistique de l’ATP, il a surement démocratisé un sport parfois très élitiste, en lui donnant une approche où l’élégance et l’humilité sont surement les deux maîtres mots caractérisant ce joueur, qui doit servir d’exemple pour certains joueurs dont on annonce déjà comme les successeurs du « Maître Federer » , comme le jeune bulgare prometteur Grigor Dimitrov entre autres ou encore le prometteur Benoit Paire qui est loin, notamment en terme psychologique, de la maitrise d’un Federer, doté d’un mental toute épreuve.
Le déclin est-il réellement en marche ? Patrick Mouratoglou, l’entraineur français de la n°1 Serena Williams, a même été dire que le suisse faisait office actuellement « de maillon faible du top 4 » dans les colonnes d’Eurosport. Avec un Nadal au retour fracassant (sept titres sur neuf possibles) et n°1 à la race donc déjà assuré de disputer le Masters de Londres en Novembre prochain, un Djokovic toujours très régulier et un Murray en constante progression, la concurrence se durcit et le « Maître » va devoir vite devoir trouver les solutions à un problème qui semble s’inscrire sur le long terme cette saison. Statistique éloquente : Federer, à mi saison, n’a toujours remporté aucun titre, une première depuis 2002.
Mais s’il y a bien une surface qui reste « chasse gardée » du suisse, c’est bel et bien le gazon. Surface dont la saison a commencé cette semaine avec les tournois traditionnels du Queen’s et de Halle, précédant Wimbledon. Le dernier cité, que Federer a remporté quatre fois (laissant augurer à chaque fois la victoire finale à Wimbledon trois semaines après), est souvent le baromètre du septuple vainqueur des internationaux de Grande Bretagne. Lorsqu’il le gagne il va au bout du tableau des Simples Messieurs. Nous ne devons pas oublier qu’il est tenant du titre sur le gazon britannique et il compte bien conserver « son » trophée, qui serait le 8e. Il interviendrait un mois après le 8e titre de Nadal sur Roland Garros. Ces deux joueurs suivent une trajectoire et un destin parallèles dans ces deux grands chelems et les ressemblances sont troublantes : (peut-être) huit titres chacun, et une contestation du règne adverse de part et d’autre (Federer à Roland Garros en 2009 l’année de la seule défaite de la carrière du Majorquin sur la terre battue française face à Söderling et Nadal en finale face au Suisse en 2008 sur gazon au terme d’un match encore dans toutes les mémoires durant près de 5h).
Federer est toutefois bien parti dans le tournoi de Halle, ou il a disposé en deux sets du modeste Stebe (6-3/6-3). Cependant il faudra venir à bout d’adversaires bien plus talentueux et calibrés pour aller chercher la 8e couronne britannique et entrer encore un peu plus dans la légende de ce tournoi. C’est tout le mal qu’on peut lui souhaiter, afin que le géant suisse ne redevienne pas « petit ».
L’auteur helvète Hugo Loetscher disait « Si Dieu avait été suisse, il serait toujours en train d’attendre le moment favorable pour créer le monde ». Même si beaucoup en doute aujourd’hui, le dieu du tennis a porté pour nom Roger Federer, et ce pendant près d’une décennie et lui aura choisi le moment favorable pour révolutionner et recréer son art. Et ça, aucun joueur ne pourra le lui enlever.