Il faut se pincer pour y croire, les deux meilleurs joueurs du siècle n'ayant jamais été aussi loin des sommets. Pourtant, le grand public a toujours cette fâcheuse tendance à les enterrer trop vite, l'un pour ses blessures et l'autre pour son âge. Ils ont d'ailleurs chuté de manière spectaculaire au classement ATP durant leur période d'inactivité, l'Espagnol se retrouvant au bord du Top 10, tandis que le Suisse était proche de sortir du Top 20, ce qui est, vous vous en doutez, leur pire classement depuis une décennie.
Mais il n'était pas envisageable, pour ces monstres sacrés du tennis, d'agoniser lentement pour finir leur carrière dans les profondeurs du classement, loin des actuels chefs de file que sont Andy Murray et Novak Djokovic. Les voici donc de retour en haut de l'affiche, et il est interdit de bouder son plaisir à la vue de cette finale, dont voici les principaux ingrédients.
Un parcours semé d'obstacles
Dans la première moitié du tableau, Roger Federer, 35 ans et tête de série n°17, peut compter sur deux premier tours favorables pour se mettre dans le rythme, avant de se coltiner les gros morceaux du circuit.
L'Autrichien Jürgen Melzer, de quelques mois son aîné, flotte aujourd'hui aux alentours du Top 300. Federer, sûr de son jeu mais en léger manque de rythme, lui cède une manche avant de reprendre le dessus (7-5/3-6/6-2/6-2).
Roger s'attaque ensuite à l'Américain Noah Rubin, un jeune de 20 ans qui tarde encore à s'imposer dans le Top 200. Une formalité sur le papier, mois sur le terrain, avec trois manches plutôt accrochées (7-5/6-3/7-6).
Vient alors le Tchèque Tomas Berdych, solidement ancré dans le Top 10 depuis une paire d'années, mais incapable de performer en Grand Chelem. Il sera balayé sans douceur par un Federer impitoyable (6-2/6-4/6-4).
Le Japonais Kei Nishikori, membre du Top 5 et révélation de ces dernières années, sera donc le premier obstacle de taille du Suisse, qui finit par s'en défaire en cinq sets (6-7/6-4/6-1/4-6/6-3).
Le plus dur devait être à venir pour le Bâlois, mais Andy Murray n'avait pu rallier les quarts de finale, sorti par Mischa Zverev, ancien espoir longtemps plombé par les blessures. Adepte du service-volée, l'Allemand ne bénéficie plus de l'effet de surprise, et tombe sur un Roger très appliqué (6-1/7-5/6-2).
Le duel tant attendu par la Suisse aura donc lieu, Stanislas Wawrinka ayant franchi son quart de tableau sans encombres. Malheureusement pour lui, un mauvais début de rencontre et une alerte au genou lui coûteront le match, remporté par un Federer très solide dans les moments importants (7-5/6-3/1-6/4-6/6-3).
De son côté, Rafael Nadal, 30 ans et tête de série n°9, peut s'attendre à moins de gros bras, mais à des premiers tours incertains face à des joueurs capables du meilleur comme du pire.
Pour son entrée en lice, il affronte l'Allemand Florian Mayer, ancien Top 20 aujourd'hui aux portes du Top 50. L'Espagnol ne tremble pas, et plie le match en trois sets (6-3/6-4/6-4).
Au deuxième tour se présente le talentueux Marcos Baghdatis. Le Chypriote, finaliste à l'Open d'Australie en 2006, est aujourd'hui n°35 au classement ATP. Son jeu léché en fait l'un des artistes du circuit, à défaut d'être l'un des meilleurs joueurs. Rafa évite piège avec sérieux et concentration (6-3/6-1/6-3).
Il doit ensuite se mesurer à l'un des joueurs les plus prometteurs du circuit, l'Allemand Alexander Zverev (petit frère de Mischa), âgé de 19 ans. Bousculé par le jeune prodige, il s'en sort dans la dernière manche, après avoir été mené durant la majeure partie de la rencontre (4-6/6-3/6-7/6-3/6-2).
Sa deuxième semaine débute par une opposition avec Gaël Monfils, le showman du tableau. Le Français, toujours aussi inconstant, ne fait illusion qu'en fin de match, sans pouvoir renverser l'Espagnol (6-3/6-3/4-6/6-4).
En quarts de finale, Rafa tombe sur Milos Raonic, tête de série n°3 et co-favori du tournoi (avec Wawrinka) après les éliminations de Djokovic et Murray. Le Canadien, vainqueur de Nadal à Brisbane deux semaines plus tôt, se fait surprendre par l'agressivité du Majorquin, imprenable sur cette rencontre (6-4/7-6/6-4).
La dernière marche avant les retrouvailles avec Roger sera la plus dure à gravir pour Nadal. Face à Dimitrov, revenu à son meilleur niveau après des années difficiles, l'Espagnol mène longtemps, avant de se faire peur. Dimitrov ne peut conclure deux balles de break à 4-3 en sa faveur dans la dernière manche, Nadal revient de nulle part pour lui prendre son service, puis s'imposer de manière miraculeuse (6-3/5-7/7-6/6-7/6-4).
Une rivalité unique
Rafael Nadal et Roger Federer, ce sont avant tout deux joueurs que tout oppose, ou presque. L'Espagnol, de manière caricaturale, est le bourrin, le défenseur, le gaucher au revers à deux mains qui hurle à chaque frappe, et qui privilégie le courage à l'élégance. Le Suisse, de son côté, fait figure d'artiste, avec son jeu travaillé, son revers à une main et ses qualités d'attaquant.
Roger, depuis toujours, est le chouchou du grand public, de par son grand sourire et ses manières de gendre idéal. Rafa, lui, a longtemps été pris à partie pour son style de jeune adulte insouciant, cheveux longs et débardeur.
Bizarrement, son ultra-domination à Roland-Garros, au lieu de le couronner comme le meilleur joueur de l'histoire sur terre battue, l'a plutôt fait passer pour un joueur qui ne gagnait des titres que sur cette surface. Il a l'occasion de tordre le cou à cette réputation ce dimanche, car une victoire lui permettrait de devenir le premier joueur de l'ère Open à remporter chaque tournoi du Grand Chelem à deux reprises ou plus.
Il y a pourtant une raison à cette différence d'appréciation du public. En 2003, Roger Federer, âgé de 22 ans, remporte Wimbledon. Le monde du tennis découvre alors un jeune homme à la fois modeste, poli, élégant et spectaculaire. Il arrive comme chef de file d'une génération qui comporte également Lleyton Hewitt, qui tient plus du petit teigneux que de l'orfèvre, mais aussi Andy Roddick, au service aussi destructeur que son style était agressif.
Pour succéder au duo Sampras-Agassi, le seul joueur en mesure de conquérir le public était donc l'esthète, Roger Federer. Tout se passe bien pour le Suisse, qui enchaîne alors avec 7 titres en Grand Chelem, de Wimbledon 2003 à l'Open d'Australie 2006. Il se présente alors plein de certitudes à Roland-Garros, le seul tournoi majeur qui lui résiste encore. En finale, il tombe pourtant de très haut face à un gamin de 20 ans, déjà vainqueur l'année précédente pour sa première participation : Rafael Nadal.
L'Espagnol bat le Suisse, qui prend sa revanche lors de la finale de Wimbledon. En 2007, le scénario est identique, Rafa s'impose en France, Roger en Angleterre. Mais 2008 marquera un tournant dans la carrière des deux joueurs, et permettra de véritablement lancer cette rivalité.
En effet, Nadal s'impose de nouveau à Paris, mais il y met cette fois la manière : Federer est piétiné, maltraité, humilié (6-1/6-3/6-0). Le Suisse compte bien remettre les pendules à l'heure de l'autre côté de la Manche, mais au terme d'une finale absolument époustouflante, Rafa s'impose en cinq manches, et fait tomber le maître des lieux.
Pour couronner le tout, Nadal écarte une nouvelle fois Roger en finale de l'Open d'Australie, six mois plus tard. Le Suisse craque, finit en pleurs, mais son rival fait tout pour le consoler. Le public se prend alors d'affection pour ce joueur d'une modestie incomparable, qui s'excuse presque d'avoir battu ce joueur qu'il respecte de manière inconditionnelle. Rafael Nadal gagne alors l'amour d'une partie du public, et force le respect de ceux qui resteront "pro-Federer".
Ce qui confère autant de charme aux rencontres opposant Nadal à Federer, c'est cette histoire commune absolument fantastique, cette opposition de styles spectaculaire, et, surtout, cette admiration mutuelle entre deux joueurs hors du commun, qui ne cessent de s'envoyer des fleurs, tout en se livrant de superbes batailles sur le court. Leurs affrontements se faisant de plus en plus rares, à nous de profiter de cette occasion pour savourer cette chance de les voir évoluer sous nos yeux, à un tel niveau.