Un salaire augmenté en plusieurs étapes, pour être à terme doublé lorsque le milieu offensif aura retrouvé son niveau d’avant-blessure, a expliqué le président Frédéric de Saint-Sernin à Canal + et Ouest-France. C’est ça, une « proposition irrespectueuse » ? Oui, Romain Alessandrini s’est mis dans de beaux draps avec ses déclarations parues dimanche dans L’Equipe, avec la version vidéo dans Téléfoot sur TF1, et la fonction replay le lendemain sur L’Equipe 21. On ne comprend pas bien quel est son objectif, en tout cas cette affaire va lui servir.

1e leçon : Romain, tes agents ont de la suite dans les idées

A la question du journaliste de Téléfoot « si Rennes revient à la charge dans les prochains jours, quelle serait votre position ? », Alessandrini répond « je ne sais pas, je laisserai mes agents s’en occuper ». Première chose dans cette réponse d’Alessandrini : il semble suivre avec beaucoup de détachement cette affaire, alors qu’il se dit plus loin dans l’entretien « blessé ». Deuxième chose, ce sont ses agents qui transmettent l’offre qui est loin d’être mauvaise à première vue car, bien qu’augmenté, son contrat courant jusqu’en 2016 n’est pas prolongé, une aubaine pour un joueur qui veut quitter le club. S’il dit non, il garde ses 40.000 € mensuels, alors pourquoi refuser ? Ça ne coûte rien d’accepter !

Si on suit le raisonnement, ce sont ses agents qui ont servi d’intermédiaires entre le club et le joueur pour la première offre. Eux qui s’étaient insurgés cet été contre l’attitude « irrespectueuse » (tiens, tiens, encore ce mot !) de Saint-Sernin qui refusait toute négociation pour un départ. Parmi ces agents, on compte le célèbre Yvan Le Mée, qui parlait de jeunes joueurs comme « des produits à valoriser », et des plus expérimentés comme « des produits finis » quand il commentait le marché des transferts sur CFoot. Un homme pour qui la valeur humaine semble compter.


Ils auraient influencé leur joueur pour s’en mettre un peu plus dans les poches pour eux ? Utilisons leur vocabulaire : on dirait bien que Le Mée et ses compères souhaiteraient réaliser une plus-value sur le produit qu’ils laissent à disposition du club, même si le club en question a offert une meilleure vitrine pour l’objet qu’ils gèrent, et a aussi lui-même payé la remise en état du produit, hors service pendant six mois. Le monde des agents, un nouvel eldorado pour golden boys ?

2e leçon : Romain, tu as besoin de cours de com’

Ouh là là, si Romain Alessandrini avait choisi une autre voie professionnelle que celle de footballeur professionnel, il ne se serait sûrement pas orienté vers la communication. Sa décision de critiquer fermement les dirigeants rennais suite à une proposition de revalorisation salariale paraît, des yeux des simples citoyens que nous sommes, totalement saugrenue et déplacée alors que les JT de 20 heures nous assomment d’augmentations d’impôts, de baisse du pouvoir d’achat et de croissance stagnante.

Juste après l’affaire Thauvin en plus. Alessandrini venait de gagner le rôle du garçon-bien-élevé-qui-ne-fait-pas-grève-même-s’il-est-triste, pendant que son homologue joueur fantôme de Lille devenait le sale-gosse-qui-respecte-pas-son-contrat-ni-son-club aux yeux de la France du foot et même au-delà, car on parle du foot dans les médias généralistes quand il y a des caprices de joueurs. Peut-être que cette posture ne lui plaisait finalement pas, mais pour avoir bonne presse aux yeux des supporters, c’est loupé. Il n’a pas réussi à susciter la compassion. Mais outre les risques qu’il a pris, Alessandrini a surtout oublié de jauger son adversaire.

3e leçon : Ton président est un interlocuteur qui ne se laissera pas marcher sur les pieds

Nom : Saint-Sernin (de). Prénom : Frédéric. Age : 55 ans. Signe distinctif : a fait partie d’un gouvernement Raffarin, donc a déjà vécu des épreuves difficiles dans sa vie. Le CV du personnage impressionne. Directeur adjoint de la communication au Conseil régional d’Ile-de-France en 1988, aux relations publiques dans l’entreprise PPR de François Pinault quand il arrive président du Stade Rennais, le garçon s’y connait en communication. Si on rajoute à ça qu’il a été au cabinet de Chirac (donc d’un président de la République pas toujours apprécié avec une affaire d’emplois fictifs au casier), autant dire qu’il en a vu passer, des clients.

Alors le footeux de 24 ans qui demande un salaire disproportionné face aux moyens du SRFC, il a les moyens de le renvoyer dans les cordes. Et proprement, car le cousin germain de Dominique de Villepin en connaît un rayon en relations diplomatiques. Donc victoire cinglante, avec le petit mot d’encouragement à la fin : « Les joueurs savent que ma porte leur est ouverte. Y compris à Romain qui demeure un élément important du club ». Les deux hommes ne boxent pas dans la même catégorie, c’est criant.

4e leçon : Tu n’es plus indispensable à Rennes

Avez-vous remarqué ? Romain Alessandrini et ses conseillers viennent de faire sérieusement tanguer la maison rennaise en quelques mots. J’ai moi-même signalé cet été que la nouvelle organisation du club rouge et noir, avec Saint-Sernin en président puissant, Dréossi parti et Buisine arrivé au recrutement, allait faire repartir le club à zéro. Surtout, Montanier en arrivant est resté sur la philosophie du club, avec une exigence : que les joueurs recrutés mais aussi sous contrat adhèrent au projet club, que le collectif soit plus important que les individualités. Logique dans un sport collectif, mais pas si évident dans le football d’aujourd’hui. Le groupe constitué à l’issue du mercato correspondait à cette éthique. Correspondait, car depuis Alessandrini a fait tomber le masque, si je puis dire.

Comme quoi, ça reste facile de foutre en l’air une ambiance positive, alors que les Rouges et Noirs réalisent un bon début de saison et, surtout, sont plus attrayants dans le jeu qu’en fin de saison dernière. Et ce, sans le gars du sud, dont la blessure avait fait tant de mal à Antonetti l’an passé. Essentiel l’an dernier, il ne l’est pas tant aujourd’hui : Montanier voulait doubler les postes pour son 4-3-3, mais en prenant en compte que Pitroipa partirait. Ils sont donc sept pour trois places : Oliveira, Pitroipa, Kadir, Romero, Saïd, Allée et donc Alessandrini. On a vu avec quelle force le club a réagi aux débordements de Yann M’Vila et de Chris Mavinga l’an dernier avec l’équipe de France espoirs. Une sanction de la sorte est, pour l’instant, exclue du côté des dirigeants rennais, mais sous la pression populaire, elle pourrait bien tomber.

5e leçon : Le supporter rennais : discret au stade, remarqué sur le web

La pétition lancée par des supporters pour que le joueur aille faire un tour en CFA2 rassemble près de 12.000 signatures (en excluant les gens qui signent deux fois) ce mercredi à 12h30. Ça fait beaucoup, en un jour d’existence. En comparaison, la pétition contre le travail précaire et le chômage n’a rassemblé que 3.000 signatures en trois mois, alors que le thème aurait dû rassembler davantage que l’envoi d’un joueur d’un club pas hyper populaire dans l’Hexagone en équipe réserve !

Le fan rennais est paradoxal : le stade de la Route de Lorient a la réputation d’un stade de spectateurs plus que de supporters. Le Roazhon Celtic Kop est actif pour réveiller la tribune, mais en dehors de ces 200 individus qui parviennent à réveiller un pan du stade, c’est assez mou. Par contre, sur internet, les supporters se font remarquer. On l’a vu l’engouement sur Twitter en juin 2012 lorsque le Stade Rennais songeait à vendre Romain Danzé avec le hashtag #ResteAvecNousLaDanz. Au final, Danzé a prolongé jusqu’en 2016. Les rumeurs du départ d’Alessandrini à Marseille au mois de juin dernier, et le comportement du joueur à ce moment-là avaient déjà suscité la colère de nombreux fans sur les réseaux sociaux. Avec ses déclarations, Romain vient de donner un coup de pied dans un nid de guêpes. Et elles ne se feront pas prier pour le piquer.

Un Romain qui franchit le Rubicon, c’était déjà arrivé. Mais difficile de croire qu’Alessandrini sera accueilli au stade de la Route de Lorient comme l’a été Jules César en son temps à Rome. Néanmoins, quelques questions demeurent. Pourquoi dire « ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de principe » quand on parle de tripler le salaire actuel, et dépasser largement le salary cap imposé par le club ? C’est une ligne de défense pour le moins étonnante. Pourquoi vouloir un tel salaire alors qu’Alessandrini a joué environ 20 matchs en L1 ? Bon après tout, c’est son problème et son argent. Mais surtout, pourquoi vouloir relancer les audiences de Téléfoot ?