Les investisseurs richissimes sont-ils en train de tuer le football ?
De plus en plus d'investisseurs arrivent dans le football, notamment en Barclays Premier League, où les investisseurs ont racheté quasiment tous les clubs, avec des résultats plus ou moins probants (Queen's Park Rangers qui a été relégué), pour les rendre plus compétitifs. En France également, le phénomène des investisseurs aux moyens quasi-illimités est arrivé, d'abord avec Nasser el-Khelaïfi qui a investi au Paris Saint-Germain, puis avec Rybolovlev qui a investi à Monaco. Récemment également un azéri a investi au Racing Club de Lens pour faire revenir ce club dans l'élite du football français. C'est d'abord une qualité, car les championnats attirent de plus en plus de très grands joueurs (Ibrahimovic, Falcao, Cavani, Thiago Silva, James Rodriguez etc..), mais aussi un défaut pour plusieurs raisons (notamment pour les autres clubs). Cependant peut-on considérer que les investisseurs aux moyens illimités sont en train de tuer le football ? C'est la question que l'on peut se poser..
I)- Une concurrence relativement absente...à quelques exceptions près
Le fait d'avoir un budget quasiment illimité permet d'énormes folies, et forcément d'avoir un effectif beaucoup plus étoffé et prestigieux que les autres équipes. Ainsi les Ibrahimovic, Falcao, Cavani ou autres Thiago Silva et James Rodriguez ne pourraient pas signer à l'Olympique Lyonnais, ou l'Olympique de Marseille, pourtant deux clubs égalements historiques, à cause de cet écart énorme de budget. Pendant que ces derniers doivent vendre leurs meilleurs éléments pour continuer à rester compétitifs (sur le plan financier), les "ogres" du championnat Monaco et Paris peuvent s'adjuger les plus grands joueurs du monde, ou presque. Cela peut être considéré comme de la concurrence déloyale, car personne ne peut rivaliser avec ces deux puissances, du moins dans l'hexagone.
Cependant, certaines équipes arrivent à faire face à ces grandes puissances. On se rappelle de l'épopée de l'équipe montpelliéraine qui avait battu le Paris Saint-Germain dans la course au titre (ce n'était certes pas le PSG d'aujourd'hui), ou de Lille cette saison qui rivalise avec ces équipes en n'ayant presque pas recruté. René Girard était l'entraîneur de Montpellier et est aujourd'hui l'entraîneur de Lille, serait-il la kryptonite des grandes puissances financières ? Du moins, on se rend bien compte que cette équipe s'effondrera un jour, et que le Paris Saint-Germain fera cavalier seul (ou presque) dans la Ligue 1. Quand on achète Cavani au mercato pour le faire jouer avec Ibrahimovic, c'est plus facile d'être champion qu'avec Hoarau ou Erding.
II)- Et la formation des jeunes ?
Le fait d'avoir un budget quasiment illimité permet de recruter à sa guise (pas celle de Jean Rochefort), mais du coup l'accent n'est plus mis sur la formation des jeunes joueurs, et les jeunes étiquetés "PSG" ou "ASM" n'ont probablement pas d'avenir dans leur propre club. La preuve avec Helvin Ongenda ou Kingslay Coman, à qui Laurent Blanc a donné l'illusion qu'ils allaient avoir un semblant de temps de jeu. Aujourd'hui on pourrait presque placarder leur photo avec "Alerte enlèvement" écrit dessus. Adrien Rabiot aurait probablement un niveau de titulaire dans tous les clubs de Ligue 1, mais il est barré par un club qui a Thiago Motta, Marco Verratti, Blaise Matuidi et qui veut recruter ... Yohan Cabaye, Paul Pogba, et Juan Mata. Ah, la follie des grandeurs...
Au lieu de former ses propres jeunes, on va en prendre des pré-fabriqués ailleurs. Marco Verratti au lieu d'Adrien Rabiot, Lucas Moura au lieu d'Helvin Ongenda, et tout ce genre d'exemples. A Monaco, Anthony Martial a été acheté, certes très talentueux, il est un produit de la formation lyonnaise, pas monégasque. L'argent a fait délaisser les centres de formations, et le nombre de jeunes sortant du PSG ou de l'ASM dans les années à venir seront très minimes, dans la continuité de ce qui se passe en ce moment. En plus, les clubs formateurs sont pillés avant même les débuts en pro de leurs poulains (Lyon, Sochaux, etc..) par les grands clubs qui veulent des jeunes joueurs...sans les former.
La formation des jeunes est donc délaissée au profit de la post-formation (si on peut l'appeler ainsi), ce qui fait que les clubs formateurs ne sont plus poussés à faire de la formation, au risque qu'on leur pique leurs poulains. La formation des jeunes, attirés par les grands clubs, est rendue par conséquent beaucoup plus difficile et moins rentable, puisque le joueur reste moins longtemps (exemple en est d'Anthony Martial, vendu de Lyon après un seul match ... en Ligue Europa, gâchis pour Lyon qui avait besoin d'argent).
III)- L'écart de niveau et de budget de plus en plus creusé ?
On voit aujourd'hui comment les grandes équipes règnent sur leurs championnats respectifs. En prenant les résultats du Paris Saint-Germain cette saison (exemple le plus flagrants), on se rend compte que le seul mauvais résultat a été celui contre Evian, dans les conditions que l'on connait. Outre ce mauvais résultat, le club de la capitale règne sur la Ligue 1, alors qu'avant le rachat (sauf la saison juste antérieure), le meilleur classement que pouvait espérer de la capitale était un ventre mou, impensable aujourd'hui n'est-ce pas ?
Ces équipes n'ont plus d'adversaires réels sauf les énormes surprises qui tiennent sur leurs jolis coups du mercato (qui ne tiennent que très très rarement la saison entière) ... et les équipes qui ont un budget pouvant concurrencer ces énormes puissances financières. Le petit écart à la base entre les équipes jouant le titre et les équipes jouant "seulement" le haut du tableau devient un gouffre. Ainsi on peine à imaginer un Olympique de Marseille jouant le titre, alors qu'il y a deux-trois ans, c'était un des grands favoris. Tout ça grâce/à cause de l'argent investi.
IV)- L'appât du gain plutôt que l'amour du maillot ?
Cette question se pose également souvent sur les réseaux sociaux et forums parlant de football : est-ce que les joueurs qui vont vers ces clubs n'y vont pas seulement pour l'argent ? Quand on voit le salaire de Zlatan Ibrahimovic atteindre les dix-huit millions d'euros par an, on peut vraiment se poser la question. L'amour du maillot existant dans les clubs historiques et dans les grands clubs (Steven Gerrard, Francesco Totti...) ne semble plus pouvoir exister, ou alors plus pour longtemps.
Les joueurs cèdent au chant des sirènes, renonçant parfois à la Coupe d'Europe pour venir jouer dans un club qui propose plus d'argent (Radamel Falcao courtisé par beaucoup de clubs européens). Renoncer à la performance sportive pour être payé plus, est-ce être un mercenaire ? L'appât du gain est de plus en plus présent, et l'argent semble devenir l'élément le plus important pour choisir entre deux clubs maintenant..
V)- La disparition du jeu collectif et du long terme ?
Les investisseurs veulent maintenant de plus en plus rapidement de "retours sur investissement", logique pour ne pas perdre trop d'argent en misant sur un club/une équipe qui ne répondrait pas aux attentes. Souvent, au bout de quelques mauvais résultats, c'est l'entraîneur qui prend pour son grade, et qui se fait licencier, mettant à mal souvent l'idéologie du long terme, qui permet à l'équipe de pratiquer un beau jeu collectif ensuite (à la Nantaise ou plus récemment à la Lorientaise, qui a gardé son entraîneur pendant 20 ans - avec des coupures - pour faire progresser son équipe).
Le principe du jeu collectif étant les automatismes, on ne peut exercer régulièrement un jeu collectif léché. Le club de la capitale réussit de temps en temps, mais surtout grâce aux fulgurances individuelles de joueurs qui ont un jeu de passes extraordinaires. Ainsi le jeu collectif n'est pas régulier ni léché. On repart sur des bases d'exploits individuels, on voit bien le FC Barcelone maintenant dépassé et obligé de compter sur les exploits individuels de Lionel Messi. Les individualités sont de plus en plus présentes et mises en valeur par les statistiques : on cherche à mettre le but, ou la passe décisive qui compte dans les stats, ce qui va à l'encontre du jeu collectif.
Les individualités sont mises en valeur, et seulement elles. Les investisseurs (qui parfois ne connaissent pas grand chose en football) ne cherchent pas ou plus le complément à leur collectif mais le nom brillant qui va faire parler. Le jeu collectif, chez les clubs rachetés par les investisseurs multi-milliardaires, n'existe que par fulgurances, et malheureusement les solutions les plus recherchées sont d'abord les individualités, au grand dam des techniciens prônant le collectif avant tout.
VI)- Conclusion
Malgré des avantages incontestables (taux de remplissage des stades plus élevés, droits TV plus chers..), et un spectacle non négligeable grâce à ces stars, l'arrivée des investisseurs richissimes a également beaucoup de défauts. Le collectif, l'amour du maillot, pourtant deux valeurs essentielles du football commencent peu à peu à disparaître ou à être de moins en moins présents et mis en valeur par les médias. La formation est de moins en moins importantes dans ce genre de clubs, au profit de jeunes d'autres clubs qui sont donc pillés. L'argent devient le facteur numéro un pour le choix entre deux clubs, l'argent étant presque illimité pour certains.
Les investisseurs veulent également un résultat imminent, qui prône donc le jeu individualiste au lieu du jeu collectif qui pourrait être la base d'un football magnifique. Pour l'instant, on ne peut dire que le football est tué par ces investisseurs richissimes, mais en tout cas, il est en coma artificiel.